ASSOCIATION des DIRECTEURS RETRAITES des LABORATOIRES VETERINAIRES DEPARTEMENTAUX
Six jours de la vie d'un groupe de cèpes corréziens 
 
                                                                                               Par Christian BORDAS
Soyons clairs.
Je ne suis pas de l'avis de l'auteur du  « Roi des montagnes », Edmond About, qui affirme que les histoires les plus vraies ne sont pas les plus belles.
Dans mon propos tout est véridique, mais selon une tradition tenace des chercheurs de cèpes du limousin le lieu exact de cet épisode 2017 restera secret. 

Campons le décor.
Nous sommes le 10 juillet, en Corrèze, à l'intérieur d'un triangle constitué par les villes de Tulle, Brive et Uzerche, en terrain acide et en bordure d'une futaie de chênes rouges.
Le sol recouvert d'une végétation courte à base de mousse, bruyère et autres plantes de prairie, mais sans fougères et arbrisseaux, contribue à une lisibilité parfaite du lieu.
Instruit par l'historique récent, je m'efforce, pendant la période de pousse excluant l'hiver, à un passage quotidien sur une zone de quelques ares.
En effet pour un chercheur de cèpes rien n'est plus déprimant que de découvrir après coup qu'une pousse a bien eu lieu.


Suite à une période climatique de juin, alternant canicule et pluie et une faible récolte de l'ordre du kg, tous les espoirs se reportaient sur l'été.
Début juillet, toujours rien, et surtout un terrain qui ne « fleurit »  pas.

Et là d'un coup ce 10 juillet l'explosion.

Encore rien la veille au soir si ce n'est une forte pluie orageuse vers 23 heures et en cette matinée bénie, apparaît un groupe compact de cèpes s'inscrivant parfaitement dans une surface trapézoïdale d'environ deux mètres carrés, en lisière et plein sud.

Une fois la zone bien délimitée par des piquets, les 17 cèpes présents identifiés de C1 à C17 et leur position relevée sur un plan, le travail sérieux peut commencer.

Tous les jours en fin de matinée, du 10 au 15 juillet un recensement aura lieu avec quelques photos et mesures quotidiennes du diamètre du chapeau.


Vu sa forme approximativement circulaire, la mesure a été arrondie au cm le plus proche.

Pendant cette période le temps restera couvert avec de rares éclaircies et une faible pluie (1 à 2 mm) le 12 juin.
Absence de pluie nocturne contrôlée par pluviomètre.
Les températures matinales sont demeurées stables autour de 15 à 17 degrés et celles de la mi après-midi également de 24° à 27° (22° seulement pour le 11 juillet).  
Le 10 juillet on ne voit que de petits boutons marron foncé de forme bien ovoïde ,en bouchon de champagne, comme le gros bout d'un œuf, prolongés par un pied très court, renflé et blanchâtre.
Les chapeaux vont s'ouvrir progressivement comme un parapluie assez régulier puis se bosseler légèrement et se retrousser parfois en partie vers le haut à la fin de l'évolution.
 La couleur marron s'atténuera avec l'apparition de rares petites plages plus claires, mais toujours en l'absence de lignes marbrées blanches.
La consistance est demeurée ferme jusqu'au 13 juillet avec un dessous bien blanc.
C'était là le moment optimal pour récolter !
En effet dès le 14 le ramollissement apparaissait, le dessous devenait vert et ces caractères allaient rapidement s'aggraver le 15.
Quant aux queues elles vont s'allonger tout en se rétrécissant en un long cylindre brunâtre.
En l'absence de disparition des participants initiaux il faut signaler l'arrivée sur zone du C'2 (amanite panthère) et du C'13, autre cèpe identique. 


Au début, le 10 juillet le diamètre moyen des têtes est de l'ordre de 2 cm.
Le 11 juillet, il s'établit à 5cm. C2 le plus gros mesure 8cm, et les plus petits C3 et C17 3cm.
Le 12 juillet la moyenne passe à 8. Le C2 est toujours en tête avec 11cm et les C3 et C17 en queue avec 5cm.
Le 13 juillet elle atteint 11cm avec les mêmes à la traîne avec 8 cm.
Le 14 juillet la moyenne est de 13 avec le maxi pour le C2 à 16 cm et le mini à 10 cm pour le C8 et le C16.
Le 15 juillet la moyenne passe à 14 cm.
Le plus gros demeure le C2 mais les deux tiers n'ont pas évolué depuis la veille.

Nous voilà parvenus au stade de pourriture et à la fin des relevés.
Notez bien que les C9, C10, C11, C12 côte à côte au départ ont pu se développer normalement en poussant sous une forme elliptique vers l'extérieur.
A ce stade ultime la récolte de produits fortement déshydratés s'est élevée à 3,800 kg .

Une cueillette effectuée le 13 aurait sans doute frôlé les 8 kg.
En résumé sur les 5 jours consécutifs les diamètres moyens des chapeaux seront passés de 2 à 14 cm avec régularité mais tassement vers la fin.
Tous sans exception ont profité d'une façon conséquente et ont atteint en même temps le stade de décomposition.  

Cette étude très sommaire est à la fois insolite et même exceptionnelle.
En effet elle nécessite une pousse brutale et massive, une zone extrêmement limitée respectée tant par les humains que les animaux sauvages et une croissance lente et prolongée permettant des mesures dans le temps.
On se gardera bien de généraliser.
Effectivement le 16 juillet dans cette même chênaie apparaissaient d'autres cèpes marron clair, déjà vieux le lendemain, avec le chapeau marbré de lézardes blanches.
C'est manifestement une autre histoire.

Mais en conclusion, il faut bien reconnaître qu'il peut exister pour les passionnés de cèpes un autre « eldorado » bien différent de celui de Candide.  

Pour rendre un sincère hommage posthume à Mr Morquer notre enseignant mycologue toulousain , précisons qu'il s'agit bien du Boletus edulis, le fameux cèpe de Bordeaux , un basidiomycète appartenant à la classe des agaromycètes , à l'ordre des boletales, à la famille des boletaceae et enfin au genre boletus .
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